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Notes sur Pierre Bourdieu
Manuscrite, non datée. Après 2002

mercredi 17 juin 2009, par Thierry Leterre

Une feuille recto-verso avec quelques idées sur la notion de « capital culturel ». J’ai ajouté en italique un commentaire.

Nulle part sans doute plus nettement que dans le domaine de l’éducation et du « capital culturel » la conception de Pierre Bourdieu ne révéla son ambigüité, et ses conséquences pratiques désastreuses, par l’influence qu’elle finit par avoir. Il ne s’agit pas de se prononcer sur l’existence même d’un « capital culturel » ou « symbolique ». On le sait, la métaphore du capital en général, par son aspect fixiste, sa référence petite-bourgeoise — de ce point de vue, Bourdieu est bien fils de son milieu — plus que marxiste est inadaptée à la réalité des rapports sociaux. Quant à la réduction de la culture, cette haute forme de réflexion se l’intelligence sur elle-même, à la trivialité d’une métaphore capitalistique, elle fait partie de rhétorique polémique coutumière chez Bourdieu. Parler de « capital » pour la culture sonnait un peu comme parler d’une « recherche de rente » pour les grands patrons d’aujourd’hui. Il ne serait pas difficile en effet de montrer que dans l’organisation capitaliste moderne les patrons (…) n’ont guère de but au-delà de l’enrichissement personnel condamnable qui ne coïncide pas toujours avec les performances réelles d’une entreprise. Ce serait simplement oublier qu’indépendamment de ces prébendes grasses cette organisation capitaliste demande des chefs et des décideurs. De la même manière, Bourdieu ignore soigneusement le fait que l’éducation demande, comme objet de production sociologique, de la culture. Mais cet oubli opportun permettait de mettre l’institution, le professeur….

Dans cette note manuscrite sur le bourdivisme, j’expose plusieurs questions : la première est la pertinence de la métaphore du « capital ». Il me semble qu’elle s’explique par l’appartenance petite bourgeoise de Bourdieu, qui voit dans le capital quelque chose de fascinant et d’impossible à atteindre. Le capital est un épouvantail à petits bourgeois rebelles. En cela, le « capital » existe comme métaphore intéressée mais pas comme concept sociologique car il ne vaut que par ses connotations au sens commun de ce terme (ce que le mot suggère, non ce qu’il dit). Comme l’a remarqué Crozier, les rapports sociaux sont des dynamiques, quand les capitaux sont des sédiments, des « stocks » alors que le rapport social est constamment dans l’équilibre et dans la création. Dans un second point j’expose une comparaison risquée entre ce que signifie le « capital » dans les domaines de culture, et le profit des grands patrons. Dans une perspective marxiste classique, je relève que l’éducation étant une forme d’organisation sociale, elle a ses propres contraintes, et que l’on ne doit pas s’étonner que le savoir soit hiérarchisé socialement. Ce n’est pas une opération sociale, c’est une nécessité qui découle comme une conséquence de l’existence même du savoir comme enjeu social. La comparaison avec le patronat vient de ce que je considère que les prébendes (assez scandaleuses en elles-mêmes) des grands (ou du reste, des petits) patrons ne vient pas de qu’ils (ou elles) cherchent une rente, mais bien de ce que cette rente est permise par l’existence même du phénomène « capitalisme ». De la même façon, le « capital culturel » n’est pas un enjeu entre des agents sociaux, mais découle logiquement de l’existence de l’éducation comme forme sociale organisée. Que certaines ou certains en profitent, est une conséquence, et non la base d’un système éducatif. Le capital culturel, pour autant qu’il existe, est une conséquence, et même une sécrétion, de la société, non la base de son fonctionnement. Autant dire que les cavernes sont formées de stalagtiques au lieu de voir que ceux-ci ne sont que les résultats de phénomènes dont le creusement des cavernes est aussi une conséquence.